mercredi 27 avril 2016



H. Nur Artıran, 
présidente de la Fondation Internationale Şefik Can de l'Enseignement et de la Culture Mevlânâ,  sera l'invitée d'une émission de télévision appelée " Un Instant avec Meyra", qui sera diffusée en direct le jeudi 28 Avril 2016 entre 12h et 14h, sur la chaîne de télévision 1 AN TV.



L'émission, proposée par la  célèbre journaliste et intervenante à la télévision Meyra Ilıcak, abordera des sujets à teneur  véritablement soufie, comme: la  prière, et la force pour faire la prière, couvrir les fautes et les choses honteuses, la Conscience, être juste.





Nom de la chaîne: 1 AN TV

 D SMART 90.kanal

TÜRKSAT 11096 V 30000



Site internet : 



Les ruisseaux du Paradis

.


mercredi 13 avril 2016

CHEIKHA NUR : DAME DE LUMIERE



Chronique d'une rencontre (suite) par Clara Murner





Vendredi 15 octobre 2015
            La route était somptueuse : forêts d'automne aux couleurs mordorées, vieilles ruines perchées sur un roc, village au pied des vestiges : le passé qui veille sur le présent.
En arrivant, nous buvons un thé en attendant la cheikha dont l'avion a un peu de retard. Joie des retrouvailles et nouvelles rencontres ; tout le monde est là quand elle arrive enfin. En sortant de voiture, vêtue d'une gandoura vert sombre ornée de fils d'or, recouverte d'un châle noir brodé,  elle prend dans ses bras tous les assistants, longuement, un à un.
Dans la grande salle préparée pour le dîner, nous prenons place sous l'oeil du portrait de Rumî accroché au mur. J'avais oublié sa voix frêle, son sourire très doux, toute la simplicité qui se dégage de sa personne, sa façon d'observer, directe, droit dans les yeux. Difficile de supporter son regard tourné vers moi, je suis gênée, je crois qu'elle regarde sa fille, assise à côté de moi, mais non...
On lui demande si elle n'est pas trop fatiguée pour l'entretien spirituel du soir, pas du tout, au contraire,  « ce qui la repose c'est de faire des entretiens spirituels. »
            « Je salue respectueusement chacun d'entre vous et vous remercie d'être là » nous dit-elle pour commencer. La gratitude, c'est un état spirituel très important. Son maître remerciait ainsi : « Gratitude à Dieu et remerciement aux serviteurs.». Si on ne remercie pas les serviteurs, Dieu n'accepte pas la gratitude.
Elle insiste sur le bénéfice d'être réunis ensemble, encore une fois, pour lire le Mathnawî de Jallal ud Din Rumî. [1] Dans toutes les religions, les réunions collectives sont préconisées.
Le monde va vers une crise très sérieuse . Rumî dit que « Quand l'obscurité augmente, il faut que la lumière augmente ». « Nous pouvons nous réunir pour être des colombes de paix ».
Plus elle parle, plus son visage et ses mains s'animent, une impression de force inouïe se dégage de sa frêle silhouette. Mawlana ne dit pas de prendre les armes, mais de propager la lumière avec nos états spirituels et nos attitudes et de cheminer sur la voie de l'Amour.



            Elle revient sur les histoires-enseignements du Mathnawî, leur enchâssement les unes dans les autres.  En fine connaisseuse des textiles, elle tisse des métaphores. « Rumî nous parle d'une chose, puis passe à une autre et ainsi de suite, les thèmes s'emboîtent, sont liés les uns aux autres comme une dentelle. » ll nous entraîne dans des digressions pour rassembler le sujet à la fin ; ainsi les idées s'enracinent mieux dans l'esprit humain. Ces histoires-enseignement parlent de la réalité intérieure. C'est aussi sa méthode. Elle commence un thème pour passer à un autre, tout en citant le Mathnawi ou des hadiths[2] pour nous parler de l'esprit, par opposition au corps. Il faut donner la primauté aux désirs de l'esprit ; maintenir l'équilibre ; en disant cela, ses mains fines miment une balance à deux plateaux.
            « L'étymologie du mot islam est double : soumission et équilibre. Soutenir son esprit, c'est un service qu'on se rend à soi-même. Faire ce que veut l'âme charnelle ne satisfait pas l'homme. Dieu a mis le bonheur dans l'esprit, pas dans la matière. L'esprit en nous s'impatiente ! » En ce moment, ce sont les jours très importants de muharram, le mois des gens de la famille du Prophète (les saints soufis).
« Dormez avec le Bien, Réveillez-vous avec le Bien, retrouvons-nous pour le Bien » sont ses derniers mots de la soirée, avant de nous quitter de son pas léger.



Samedi 16 octobre
            C'est une belle journée d'automne, très ensoleillée. Réveil sur les chapeaux de roue, je m'habille en hâte, les autres sont déjà parties, ma montre est arrêtée. Un reste de café encore chaud, une mandarine et c'est parti pour une matinée d'entretiens spirituels intenses. Tout le monde est déjà installé quand elle arrive furtivement, la discrétion même, vêtue d'une sobre robe orientale noire, un châle vert sombre sur les épaules, sans bijou aucun, sauf une bague noire. « Il y a beaucoup de raisons d'être bien, nous dit-elle, après nous avoir longuement observés en silence, un à un. On devrait être heureux tous les jours en se réveillant d'avoir deux mains, deux jambes, deux yeux... » Etre conscient de tout ce qu'on a doit suffire à nous contenter. Elle nous donne une recette spirituelle : des prières de remerciement. Les médicaments ne tranquillisent qu'un instant tandis que les remèdes spirituels sont pérennes.
            C'est alors le commentaire d'une des histoires les plus subtiles du Mathnawî, une histoire coupée d'enchâssements multiples selon la méthode de Rumî pour présenter le message sous différents aspects, une multiplicité d'exemples. C'est l'histoire d'un roi juif qui livrait une guerre contre Jésus. Certains l'ont identifié à St Paul, juif d'origine qui avait combattu les Chrétiens. « L'esprit de Moïse était l'esprit de Jésus. Mais sous prétexte d'être le gardien de Moïse, il a versé le sang de milliers de croyants. Tous les prophètes depuis Adam sont un ; on ne peut les séparer. »
Pour illustrer cette vérité, elle nous lit l'anecdote du marchand de flacon qui louchait. Croyant voir deux flacons, il en brise un, mais les deux disparaissent. Si on nie Mohammad, Jésus et Moïse vont disparaître.
« On trouve ce roi oppresseur dans toutes les religions, à toutes les époques. On considère que le cancer est la maladie de l'époque, mais c'est d'être bourré de préjugés qui nous rend malades. Toutes les maladies viennent de là. »
            Pour nous convaincre, elle se prend elle-même en exemple : « Quand je suis née, une voisine s'occupait de moi, pour elle Nur, c'était un bébé ; à dix ans, ça n'avait rien à voir, pourtant  les deux étaient Nur ; à vingt ans, il n'y avait rien de comparable avec l'enfant, en apparence, puis à cinquante ans, quel rapport avec le bébé ? Pourtant c'est la même personne, l'apparence a changé mais la réalité intérieure est une. C'est ainsi pour les prophètes. Chaque prophète vient parachever celui qui l'a précédé. Si on tue une personne de cinquante ans, on tue le bébé. On doit considérer les prophètes comme un tout. »
Son ton se fait plus doux, plus intime, nous avons conscience d'entrer dans la confidence « Je suis née dans une famille musulmane, mais j'ai ressenti le besoin d'approfondir, de chercher à quelle religion j'étais le plus adaptée. J'ai découvert que les Juifs n'acceptent pas Jésus, que les Chrétiens n'acceptent pas Muhammad, alors j'ai étudié sérieusement l'islam. Il y avait ce verset « Nous ne séparons aucun prophète les uns des autres. » L'amour de l'homme est capable d'embrasser toute l'humanité. Dans le soufisme, le cœur est décrit comme étant Marie et l'esprit, dont nous devons prendre soin, est symbolisé par Jésus. Ils sont en nous. » Joignant le geste à la parole, le bras droit arrondi sur le cœur, elle ressemble aux anciennes statues mariales des églises romanes.
            Les conflits entre religions proviennent de l'ignorance. Disant cela, elle parle avec passion, fait des gestes, s'emporte, indignée ; ce qui se passe dans le monde la touche énormément : « Ce que font aujourd'hui certains hommes, même les démons ne le feraient pas ! Il y a des hommes qui font peur au Démon lui-même !» Elle nous fait rire en disant que le Shaytan (Satan) est jaloux d'eux.
Le thème de la jalousie reviendra souvent au cours de la journée : Une personne qui n'abrite aucun mal dans son coeur ne doit pas être jalousée. Il y a beaucoup de jalousie dans la maison du corps. Les hommes ordinaires se noient dans des petites pensées.  Elle cite le Coran « purifiez ma maison », soit, purifiez votre monde intérieur.   Verse de la poussière sur la tête de la jalousie et de l'envieNe vas pas dans le quartier de l'obscurité et du désespoir, il y a tant de soleils !
            Quand je regarde l'assistance, je remarque que les visages changent, deviennent beaux, reflètent une harmonie, une paix intérieure ; c'est quelque chose d'imperceptible, mais ce ne sont plus tout à fait les mêmes personnes que celles aperçues le matin, tous sont pendus à ses lèvres, cherchant à saisir le sens profond de ses paroles. Il est vrai que cette forêt de symboles et de métaphores demande un intense effort de concentration. Certains me diront plus tard « On est sous le choc, il faut digérer !»
Le déjeuner autour d'un copieux couscous est un moment de détente qu'on savoure ensemble dans un léger brouhaha de conversations où les langues se délient. A côté de moi des jeunes venus de Toulouse parlent de leur séjour à Istanbul, un autre me confie qu'il s'est inscrit à l'INALCO  pour apprendre le turc. De grands tajines fumants circulent dans la convivialité et l'amitié des coeurs.
            Plus tard, elle nous parlera des soutiens psychologiques spirituels qu'elle donne à Istanbul. « Certains s'agrippent au passé, transportent jusqu'à l'âge mur les aspects négatifs du passé : c'est la porte ouverte à la dépression. Il faut se tourner vers le passé pour en tirer des enseignements pour le présent, pas pour gémir. Tant de présents viennent du ciel. Il n'y a aucune raison de déprimer. » Jamais fatiguée, elle s'efforce inlassablement de mettre à notre portée les richesses infinies de cet enseignement  spirituel avec l'aide de L. son fidèle traducteur.

dimanche matin 17 octobre
            Il pleut à verse. Heureusement nous avons profité du beau temps, hier, pour ramasser des noix et des kakis. C'est à nous de parler, de lui poser des questions. « Vous écouter me procure la plus grande joie. Ma particularité, c'est de me taire et d'écouter. Si je parle, c'est par devoir spirituel. Je n'ai rien dit tant que Ṣefiq Çan[3] était en vie C'est par ordre de son maître, methnevihan (commentateur du Mathnawî), qu'elle a pris la relève, après sa mort. « Il me répétait des dizaines de fois : Mme Nur, ces entretiens doivent continuer ! »
Elle nous raconte comment il l'a littéralement poussée à lui succéder. Non sans émotion, elle évoque les derniers instants de ce chevalier spirituel qui pensait à l'Autre avant tout, quelle que soit sa foi. Un très beau départ et un très beau moment. « Je compris combien il était vain d'avoir peur de la mort. Quand on a eu une vie élégante et subtile, on meurt de même. Dans la voie mevlevi, c'est « la nuit de noces ». C'est difficile à croire, mais on ne peut pas s'affliger. » Ses dernières paroles  sont pour elle : « N'aies pas peur, sois courageuse, tu vas réussir ».
            10h30 : c'est l'heure de la séparation : « Quand on se quitte, il faut toujours penser aux retrouvailles ». Ce sera dans six mois. Tout ce temps sans entendre la voix douce vibrante d'émotion, sans contempler le regard de velours, la frêle silhouette qui se retourne une dernière fois, et s'incline, face à nous, avant de franchir la porte, pour nous redire ces mots ultimes :« N'ayez crainte, soyons courageux, nous allons réussir



[1] Djalâl-ud-Dîn Rûmî, appelé Mawlana (notre maître), l'auteur du Mathnawî, est né à Balkh en 1207, au Khorassan et mort à Konya (Turquie) en 1273.

[2]Paroles rapportées du prophète Muhammad
[3]Parti à 99 ans, il était le dernier représentant de la chaîne initiatique remontant à Rumî, l'auteur du Mathnawî.

mardi 12 avril 2016

RENCONTRE AVEC UNE FEMME REMARQUABLE



Par Clara Murner



Vendredi 12 Juin. A Roumanières, l'aéroport de Bergerac, je le reconnais tout de suite, assis sur un banc devant l'entrée; teint hâlé, crâne chauve, barbe en collier, petit chapeau en cuir à la main, c'est F. musicien, traducteur du Mathnawî de Rûmî, maître de sabre japonais et vannier à ses heures. Venu de la Creuse, il vient attendre les Bruxellois que nous devons emmener dans le sud du département pour rencontrer Cheikha Nur, venue d'Istambul.
Je ne la connais guère que de nom.
Je ne l'ai jamais vue.




Une quarantaine de personnes venues de partout, Belgique,
Dakar, Paris, Toulouse, Sète, viennent se ressourcer ici. Nous
arrivons sous une pluie battante, à la nuit tombée, dans un manoir
du XIIe siècle.
Passé le grand portail encadré de statues, je me gare devant un
portique couvert de roses. À peine le moteur arrêté, un groupe
de femmes habillées à l’orientale passe devant les phares allumés.
J’ai une certitude immédiate : Cheikha Nur, c’est elle,
cette frêle femme en robe verte, un châle vert sur les épaules,
cheveux foncés coupés courts, yeux noirs, teint clair. Nous la
rejoignons aussitôt dans une ancienne grange restaurée pour
l’entretien spirituel du soir. Le repas, ce sera après, la nourriture
de l’esprit d’abord.
Une quarantaine de personnes sont en méditation silencieuse
quand nous pénétrons dans la salle. Je suis frappée du nombre
de femmes, seules quelques têtes masculines émergent par-ci 
par-là, y compris le petit H. âgé de 10 mois, qui assiste sagement
à tous les entretiens sans broncher, à part quelques babils.
Quand elle se met à parler, en turc, ses mains fines ornées
d’une grosse bague noire, parlent aussi, autant que le traducteur
placé à sa droite. Sa voix est douce et mélodieuse. Mais
comme elle semble fragile ! Cependant, elle dégage une impression
de force, émanant d’une volonté de fer. À n’en pas douter,
c’est une battante. Son titre, reconnu par les pairs, de « mesnevihan
», lecteur du Mathnawî, cette oeuvre colossale du grand
maître soufi de Konya qu’on appelle Mevlana (notre maître) ou
Rûmî, lui a été conféré par son maître Şefiq Can Dede, juste
avant sa disparition en 2005, à l’âge de 99 ans.
Je me souviens avec émotion de l’avoir rencontré il y a environ
vingt ans, à Konya, lors du colloque Rûmî et Goethe, et
d’avoir été très impressionnée par l’aura spirituelle de cet homme
humble, réservé et discret.


SEULE FEMME DEPUIS QUATRE CENT ANS 




Elle nous explique le sens de cette fonction de « mesnevihan »
ininterrompue depuis huit cents ans. Il s’agit de la capacité à
maîtriser une lecture des significations profondes de cette oeuvre
inspirée, le Mathnawî, lui-même commentaire ésotérique
de 25 000 vers, sous forme de 260 histoires-enseignement, qui
permet de dévoiler le sens du Coran. C’est seulement la deuxième
fois qu’une femme porte ce titre en huit cents ans et la dernière
fois, c’était il y a quatre cents ans. Impressionnant !
Elle nous parle de son enfance, passée dans une zaouia (centre
spirituel d’une confrérie soufie) et de sa mère soufie, dont la vie
fut remplie de souffrances. À chaque fois qu’elle allait en parler
à son maître, elle s’entendait dire la même réponse. La plume a
écrit et l’encre s’est asséchée. Autrement dit, c’est le destin...
Inadmissible pour l’enfant qu’elle était ! C’était trop facile, il
devait y avoir un remède.
S’il y a un pouvoir divin d’écrire le destin, il y a aussi un pouvoir
d’effacer, disait Abd el Qader Jilanî, le grand maître soufi

algérien. Pour le Très-Haut, rien d’impossible. Quand elle parle
de Lui, de son amour infini pour toutes les créatures, son visage
resplendit d’un éclat intense et ses yeux de velours deviennent
profonds comme des puits.
C’est cela l’enseignement du Mathnavî, un très grand humanisme,
qui parle à toutes les créatures, de toutes les religions
comme aux athées, sans distinction aucune : c’est une spiritualité
universelle.
Après quelques échanges avec l’assemblée, elle se retire
humblement, avec force remerciements et salutations, et sort de
la salle à reculons, en signe de respect pour l’assemblée. On
sent que cette femme d’une quarantaine d’années est rompue au
code de bonne conduite spirituelle, appelé adab en arabe.
Une brève collation plus tard, je rejoins ma cabane dans le
jardin. La pluie a cessé et une bonne odeur de terre mouillée
monte du sol.
Samedi 13 juin. Réveillée par la lumière de l’aube, je découvre
à travers les larges baies vitrées que je suis au milieu d’une
forêt. C’est grandiose. Après une bonne douche, encore à peine
éveillée, je me dirige vers la grange. En passant devant un ancien
bâtiment, j’aperçois la Cheikha en train d’écrire sur une
terrasse, entourée de sa fille et de sa secrétaire et disciple T.
Toutes les trois sont silencieuses, je leur fais un bref salut en
passant devant elles. Je me perds un peu entre les bâtiments du
domaine avant de retrouver la grange où tout le monde est attablé
pour le petit déjeuner.
À neuf heures trente, elle fait son entrée, toujours aussi discrètement
et humblement, toute de blanc vêtue, pour les « entretiens
spirituels » de la matinée.
Ils porteront toute la journée sur les extraits du Mathnawî proposés
par les cercles de Mathnawî de Paris et de Bruxelles. Elle
lit les distiques très lentement, signale les paroles importantes,
comme cette maxime « l’amour est explicité par l’amour » :
l’amour ne s’explique pas, il se prouve. Il n’y a pas de dualité
en islam, on atteint l’unicité par l’amour.
L’amour, il en sera beaucoup question pendant toute la session,
mais il sera surtout palpable entre la Cheikha et tous les
assistants. Elle reste parfois de longs moments en silence, contemplant
les visages des participants car regarder de beaux visages
est une prière.
Après la manne céleste des entretiens, les repas sont pris ensemble,
chacun apportant son aide pour dresser les tables disposées
en U, recouvertes de nappes blanches saupoudrées de
pétales de rose.
La Cheikha mange avec nous, après la bénédiction pour le
repas, avec des gestes lents et élégants.
L’interruption de l’après-midi permet à chacun de découvrir
le domaine entouré d’un grand parc. La pluie a cessé, l’air embaume
la terre rafraîchie.



FEMMES SPIRITUELLES



La séance de l’après-midi se poursuit avec une histoire soufie
hautement symbolique. Lors de l’échange avec le public, je me
hasarde à poser la question qui me démange depuis le début :
pourquoi si peu de femmes dans la spiritualité de l’islam, alors
qu’il est notoire qu’elles peuvent atteindre des degrés supérieurs
aux hommes dans ce domaine ? C’est avec une colère
maîtrisée qu’elle répond en dénonçant l’oppression inadmissible
des hommes sur les femmes depuis la nuit des temps. Les
femmes doivent lutter pour prendre la place qui leur revient en
tant qu’êtres humains, ne pas se laisser dominer. Le premier
« homme », Adam, dans le Coran comme dans la Bible, est un
être humain, ni homme, ni femme. Il est le prototype de l’espèce
humaine. Elle ne nous voit pas en tant qu’êtres sexués mais en
tant qu’êtres humains. Plus le propos devient intense et énergique,
plus ses mains traduisent en signes les mots que nous
avons du mal à comprendre. Cette langue des signes improvisée
impressionne les esprits attentifs et ouvre les coeurs, tandis que
le traducteur continue sa tâche imperturbablement.
Bien souvent, dans cette journée, amour et humour se succèdent
et se complètent dans cette ambiance chaleureuse, presque
familiale. Ces moments de détente nous rapprochent de cette
grande dame, si attachante.
Dimanche 14 juin. Nous sommes une famille, nous dit-elle
avant de nous quitter, en formulant le voeu de revenir bientôt
et la promesse de rester avec nous avec le coeur, battements de
main à l’appui, sur sa poitrine. Un dernier au revoir, mains jointes,
face à nous et les trois femmes à la démarche légère s’en
vont reprendre l’avion pour Istambul.
Nous prenons un dernier repas ensemble, puis formons
un cercle autour de F., qui nous chante quelques distiques du
Mathnawî, selon la manière traditionnelle qu’il a apprise auprès
de ses maîtres soufis, en Inde. Au fait, qu’est-ce qu’un soufi ?
C’est celui qui rend service, qui est rempli d’amour et qui revêt
les traits de caractère des prophètes. (Cheikha Nur)