mercredi 26 août 2015

De la douleur de Jacob à la perte de Joseph





 Le cheikh [Ahmad al-Alawi] raconte ceci au sujet d'un disciple du cheikh al-Bûzîdî :
  « Un de nos frères était troublé et embarrassé par le cas de Jacob et l'affliction où celui-ci fut plongé à cause de Joseph ; selon les termes du Coran : Ses yeux blanchirent de tristesse et il était accablé. Il me demanda comment Jacob avait pu éprouver une si excessive douleur et comment la beauté de Joseph avait pu détourner son attention de la beauté de la vérité, citant comme argument ces vers d'Ibn al-Fârid :
Si, aux oreilles de Jacob, on avait proclamé la beauté de Sa face
Jacob eût oublié la beauté de Joseph.
   « Je le laissai dire jusqu'à ce qu'il s'apaisât, puis je lui répondis : “Ce n'était pas pour la personne de Joseph que Jacob éprouvait cette douleur extrême, mais parce que Joseph était, pour lui, le lieu de manifestation de la vérité, de sorte que lorsque Joseph était auprès de lui, l'état de présence en Dieu de Jacob devenait plus intense. La vérité lui apparaissait en Joseph comme elle apparaissait à Moïse sur le mont Sinaï, au point que Moïse ne pouvait guère parvenir à l'état de grande intimité que lorsqu’il était sur la montagne, bien que Dieu soit présent en tout lieu. Il est avec vous où que vous soyez. De même, la beauté de la vérité se manifestait à Jacob sous la forme de Joseph, si bien qu'il ne pouvait supporter d'en être séparé, car celui-ci était devenu en quelque sorte le sanctuaire orienté de sa vision de Dieu. Pareillement, le Prophète a dit : ‘J'ai vu Dieu sous la forme d'un adolescent imberbe.’ De là, aussi, la prosternation des anges devant Adam que Dieu créa à Son image, et de là, encore, la prosternation de certains chrétiens devant Jésus pendant sa vie même et le fait qu'ils lui reconnaissent les attributs de la divinité. Toutes ces prosternations s'adressent à Dieu et à nul autre que Dieu, car la manifestation de Sa beauté peut être si intense en certaines formes que les imperfections humaines en sont effacées.”
   «  Les hommes doués d'intelligence parfaite, les prophètes et les élus des saints voient Celui qui se manifeste dans la forme, non la forme elle-même, de sorte que leur connaissance, loin d'impliquer limitation et comparabilité, est une affirmation de Sa transcendance et de Son incomparabilité ; quand ils Le contemplent, sous quelque forme que ce soit, leur vision se rapporte à Son nom Azh-Zâhîr, l'extérieur ou le manifeste.
   « L'état d'intimité de Jacob avec Dieu devenait extrêmement intense quand il voyait son fils et, lorsqu'il le perdit, la vision directe ne vint plus aussi facilement. Ce qui explique son affliction.
   «  Tu devrais aussi savoir que si la vérité, sous certaines formes, apparaît clairement à Ses serviteurs, elle est néanmoins jalouse à cause de Ses autres formes en lesquelles ils l'oublient, car ils s'attachent alors à une forme limitée qui est bien souvent de la plus éphémère brièveté. C'est pourquoi, comme elle le fit pour Jacob, la vérité éprouve ceux qu'elle aime par la disparition soudaine de la forme, afin que leur vision puisse se tourner de la partie vers le tout. »

Martin Lings,Un Saint soufi du XXème siècle

Trouvé avec bonheur sur le blog Abou Marwan


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